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Quinze ans de fouilles à L'Abbaye de Vauclair 
Bilan provisoire (1966-1981)

        A part les églises démantelées à la révolution, les autres bâtiments monastiques restèrent relativement intacts jusqu'en 1914. A l'intérieur de l'immense mur d'enceinte entièrement debout, ils abritaient les habitants d'un véritable petit village appelé Vauclerc -- La vallée-Foulon ; l'aile des convers passait même à juste titre pour l'une des plus belles et des mieux conservées de toutes les abbayes françaises de l'ordre de Cîteaux. Placés sous le feu de l'artillerie pendant les années de la Grande Guerre, notamment lors de l'offensive du général Nivelle en avril 1917, la plupart des bâtiments furent profondément mutilés et même souvent détruits. Classés dans la zone rouge en 1918, les ruines laissées à l'abandon furent bientôt envahies par la végétation et servirent à plusieurs reprises de carrières de pierres.
        A l'initiative conjuguées du Père Anselme Dimier et du Comité du Tourisme de l'Aisne, une remise en valeur du site fut décidée en 1965. Après les travaux de dégagement, les recherches archéologiques du Groupes Sources commencèrent à Pâques 1966. Depuis lors, elles se poursuivent sans interruption et constituent aujourd'hui en France la première tentative d'investigation complète d'une enceinte monastique médiévale. Quinze ans..., le temps d'une première ébauche de synthèse semble donc venu.
        Avant d'entreprendre cette étude, il paraît néanmoins essentiel d'en expliquer la nature. Au-delà de l'hommage qu'il veut rendre au Père Anselme Dimier, ce travail est d'abord un bilan, c'est à dire une vue d'ensemble des principaux résultats acquis par ces années de fouilles à Vauclair. Il ne faut donc pas s'attendre à y trouver tout le luxe de détails descriptifs d'une publication limitée à un sujet précis ; indispensable, de telles mises au point partielles ont été déjà publiées quand elles étaient possibles et nécessaires. Mais il est bon aussi de nouer parfois la gerbe et de présenter l'ensemble des travaux achevés ou en cours.
        Bilan provisoire cependant car les fouilles ne sont pas terminées. L'enceinte monastique dépend de la forêt domaniale de Vauclair ; elle appartient donc à l'Etat qui la gère par l'intermédiaire de l'Office National des Forêts. Celui-ci l'avait convertie partiellement en pépinières au nord et en peupleraies au sud ; il a donc fallu ordonner les recherches en fonction des espaces disponibles et négocier divers arrangements avec l'Office qui a toujours fait preuve d'une grande compréhension. Pratiquement, tous les lieux réguliers, église, cloître et bâtiments adjacents, la porterie et une grande partie de l'hôtellerie ont été mis au jour ; les fouilles ont aussi atteint les vestiges de l'infirmerie, du noviciat et d'une série d'ateliers ; elles se poursuivent autour du moulin. Mais il reste encore plusieurs zones inexplorées.
        Bilan archéologique enfin puisque nous nous bornerons à tout ce qu'a livré l'interrogation du sol. Pour éclairer les découvertes, il faut certes prendre appui sur les archives écrites dont l'étude commence à peine. Mais le but poursuivi ici n'est pas de retracer l'histoire événementielle ou architecturale de Vauclair ; tout au plus d'y contribuer par les recherches menées sur le terrain.
        Trois thèmes majeurs se dégagent de cette tentative de synthèse : que savons-nous du site avant l'arrivée des moines cisterciens au début du XIIe siècle, bref, de Vauclair avant Vauclair ? Qu'ont donné les fouilles de l'abbaye elle-même ? Et qu'ont-elles révélé dans l'espace situé autour des lieux réguliers ? 

 

I) VAUCLAIR AVANT VAUCLAIR.

        Aucune structure préhistorique n'a été mise à jour dans les secteurs fouillés jusqu'à présent à Vauclair. Mais un matériel lithique d'une centaine de pièces, pointes de flèches et grattoirs notamment, a été rassemblé au cours des recherches. Son étude est en cours. Un premier examen a montré qu'il s'agissait surtout d'objets remontant au Néolithique. Tous proviennent exclusivement de la zone proche du chemin qui passe devant l'abbaye. L'essentiel de ce matériel a été exhumé de manière éparse dans les remblais de sépultures médiévales, surtout dans l'abbatiale.
Les principales découvertes concernent en fait deux périodes : celles de la Tène III et l'époque gallo-romaine.

 

1) Période de la Tène III.

        Les plus antiques fragments de céramiques trouvés à Vauclair sont ceux d'une grande urne de couleur noire avec décor cordé dont les morceaux brisés ont été découverts sous un squelette dans une sépulture médiévale de l'église. Ce genre de poterie peut être daté de 500 avant J.-C.
        Les structures en place les plus anciennes appartiennent à la Tène III, C'est à dire environ 50 avant J.-C. Il s'agit de trois ensembles funéraires. Le premier, une tombe et un foyer d'incinération assez proche, a pu être étudié avec soin et a fait l'objet d'une publication ; intact , le mobilier semble indiquer une sépulture d'enfant. Trouvé dans le passage du bâtiment des convers, le second comportait un important mobilier  qui a été détruit en même temps que la tombe au cours des travaux  de dégagement menés à Vauclair quelques mois avant le début des fouilles du Groupe Sources. Devant le milieu de la façade orientale de ce bâtiment, non loin de la précédente, la troisième sépulture était prise dans un réseau serré de fondation médiévales ; une partie seulement était intacte et a livré un beau collier avec anneaux en verre, métal, os et ambre.

2) Période gallo-romaine

        Depuis le chemin passant devant l'abbaye jusqu'à l'extrémité est des lieux réguliers, les fouilles ont mis au jour à -90/100 cm un niveau gallo-romain constant qui se présente comme une couche épaisse de 30 à 40 cm, composée d'un sable brun sombre avec traces de charbons de bois et tessons de poterie. Il a livré onze structures en place dont le plan d'ensemble montre les emplacements à l'intérieur du mur d'enceinte monastique. Il s'agit de cinq fours de potiers, de deux fours bronziers, des vestiges de trois bas-fourneaux de fer, d'un puits et d'un foyer.
        Les cinq fours potiers appartiennent tous à un même type à double alandier appelé aussi horizontal-draught klins. Assez archaïques, ils ne possèdent pas de sole mais une chambre unique où la cuisson s'opérait sur une plate-forme exhaussée à la base et sur laquelle étaient déposés les éléments à cuire. Ce genre de fours semble assez rare en France ; il est commun en Angleterre. Une publication détaillée a déjà été consacrée aux deux premiers, les mieux conservés. Les restes des trois autres détruits en partie par les constructions médiévales, furent mis au jour vers la porterie et l'hôtellerie. Ils sont du même type que les deux premiers et leur production semble identique.
        Ces fours produisaient surtout des marmites, des gobelets carénés, des bouteilles, tèles, couvercles, assiettes et formes à fromage. Il s'agissait d'une céramique commune, de fabrication locale encore fortement influencée par la tradition indigène et rappelant certaines formes de la Tène bien qu'à dater de la fin du premier siècle après J.-C. Voici la conclusion générale de l'étude consacrée à ces fours : "L'examen de la céramique... fournit une indication presque certaine sur le genre d'établissement que desservait cet atelier... . Les formes à fromage, par exemple, pourraient indiquer l'installation d'un établissement agricole à Vauclair. Les autres types de vases, essentiellement à usage domestique, complètent cette impression. Les marmites, écuelles, assiettes devraient être d'une utilisation courante et servir aux besoins journaliers des occupants".
        Les deux fours bronziers gallo-romains ont été trouvés, l'un sous la façade occidentale du colombier, l'autre vers l'hôtellerie.
        Les vestiges découverts sous les fondations du colombiers étaient assez bien conservés. Il s'agit d'une sorte de cuvette allongée, orientée nord-sud, mesurant 1,50 m de long sur 30 cm de large et une profondeur d'environ 25 cm. Le fond et les parois sont en terre cuite rouge. Au centre du flanc oriental débouche un petit conduit, lui aussi en terre cuite rouge, incliné en pente douce et reliant la cuvette à un petit fourneau vertical dont une partie restait en place... sous la première assise des soubassements du colombier. De nombreuses traces de coulées de bronze ont été relevées dans les débris de ce fourneau.
        Une seconde forme artisanale de travail bronzier se trouvait dans une lentille du sol, intacte au milieu d'un bâtiment de l'hôtellerie. Différente de la première, elle se présente comme une fosse de 2,40 m de long sur 1,90 m de large et creusée jusqu'à 1,80 m de profondeur. Le bas-fourneau proprement dit était au fond de cette fosse, sur une infrastructure composée de plusieurs gros moellons plats servant d'assise. Une partie était écroulée sur ces moellons, mais l'autre, une base circulaire d'environ 25 cm de diamètre, subsistait en place. Beaucoup de déchets bronziers, filets de coulée durcis notamment, furent découverts dans les remblais, mêlés à des charbons de bois.
        Dans le secteur situé entre le colombier et la porterie, les recherches ont livré les restes de trois bas-fourneaux de fer. Rappelons brièvement qu'à cette époque ils consistent en un petit fourneau de terre cuite, de forme plus ou moins circulaire et mesurant 40 à 50 cm de hauteur. On plaçait des couches alternées de minerai et de charbon de bois. Perpendiculairement à la paroi, la base comporte une petite ouverture ronde avec tuyère en terre cuite par laquelle on activait la combustion, sans doute à l'aide d'un soufflet. Ces bas-fourneaux étaient placés à côté d'une fosse où se déversaient les scories. A Vauclair même, ont été trouvés une fosse entourée d'alignements de moellons et un champ de scories de fer, des fragments de bas-fourneaux proprement dits, des tuyères et une série de traces de pieux en bois qui les entouraient.
        Non loin des restes du four de potier situé sous les fondations orientales de la porterie, les fouilles ont également mis au jour un puits gallo-romain très bien conservé. Un empierrement fort soigné, avec deux bases de gros poteaux autour de l'orifice. D'une profondeur d'environ 4,50 m, ce puits présente toutes les caractéristiques de l'époque gallo-romaine : une partie supérieure où les parois circulaires sont faites en moellons assemblés sans mortier et une partie inférieure rectangulaire où les parois sont composées avec de petites poutrelles de chêne de 23 cm de hauteur. Assez étroit, ce puits mesure 70 cm de diamètre dans sa partie circulaire et 60 cm dans sa section rectangulaire. Un chaudron en bronze très bien conservé se trouvait dans les remblais inférieurs avec des fragments de poteries gallo-romaine. Au sommet des remblais qui encombraient la cavité, les fouilleurs ont découvert un bronze de Néron. Il paraît donc logique, après un examen des tessons et du chaudron, de dater ce puits du premier siècle après J.-C. Sans doute s'agit-il de celui procurant l'eau au travail du potier dont le four était à quelques mètres à peine.
        Une partie d'un foyer gallo-romain demeurait par ailleurs intacte entre une série de murs médiévaux, à l'ouest de la porterie, à quelques mètres de la route passant devant l'abbaye : un moellon allongé placé sur chant et une série de poteries disposées horizontalement entourant le foyer. La densité des fondations médiévales n'a pas permis de découvrir s'il s'agissait d'un foyer de plein air ou d'habitat.
        Restent, pour en terminer avec la période gallo-romaine, deux problèmes à évoquer. Les de cette époque découverts à Vauclair ne subsistent que dans les espaces laissés libres par les profondes fondations médiévales ; une grande partie a donc dû disparaître. Toujours est-il que toutes les structures mises au jour se limitent à des industries à feu ; hormis un foyer bien sommaire, les recherches n'ont trouvé ni l'habitat ni les sépultures correspondant à cette occupation. On sait que les ateliers à feu s'installaient généralement à proximité des maisons mais en un lieu choisi en fonction des vents dominants pour éviter la pollution. Il existe donc, dans un endroit très voisin, au nord de l'enclos monastique, un habitat gallo-romain qui a dû logiquement se fixer auprès de la petite rivière coulant à proximité du monastère.
        Soulignons aussi que tous les vestiges les plus antiques de Vauclair ont été découverts dans une zone proche du chemin passant devant la poterie. Menées avec autant d'acribie, toutes les fouilles dans des secteurs plus éloignés n'ont livré aucun mobilier. Est-ce un argument suffisant pour mettre en exergue l'antiquité de cette voie ? Constatons que, descendant en ligne droite de la crête du Chemin des Dames, au sud de l'abbaye, ce chemin remonte les pentes septentrionales de la vallée de l'Ailette par un tracé rectiligne, évitant toute localité, c'est-à-dire de façon bien différente des voies romaines. On peut légitimement supposer qu'il s'agit d'une voie très ancienne, remontant sans doute à l'époque gauloise.

 

II) LES FOUILLES DE L'ABBAYE

        Entre cette présence gallo-romaine et le niveau du site réoccupé par les moines au XIIe siècle, les recherches entreprises à Vauclair n'ont livré aucun élément significatif. Le seul indice est constitué par certaines traces de labours antiques que l'on a pu déceler sous le niveau monastique. Mais à l'emplacement même des constructions de l'abbaye, il y a eu manifestement abandon entre le IIe et le XIIe siècle. Un tel silence pose certains problèmes importants sur lesquels nous reviendrons dans les conclusions de cette étude.
        Les fouilles ont par contre permis de découvrir les fondations et le plan partiel du premier monastère construit au XIIe siècle, puis du second qui lui fut substitué au siècle suivant, enfin de mieux comprendre les rénovations des bâtiments menées au XIIe siècle.

1) Le premier monastère (XIIe siècle).

        L'abbaye de Vauclair fut fondée à la demande de l'évêque de Laon, Barthélémy de Jur. D'après la charte de fondation, le lieu choisi portait le nom de Curtmenblein ; il y avait là une église (altare) que l'évêque céda à saint Bernard avec tous ses droits et dépendances. A cette première donation, les puissants seigneurs de Roucy ajoutèrent d'autres biens. Le 23 mai 1134, Bernard de Clairvaux envoya un groupe de moines vers la nouvelle fondation de la vallée de l'Ailette, quinzième fille de Clairvaux, à laquelle il  donna le nom de Vauclair (Vallis clara), le même que celui de l'abbaye-mère (Clara vallis).
        Cette communauté commença à construire ses bâtiments au lieu-dit Pratum molendini. Il y eut donc à Vauclair un premier monastère cistercien édifié au XIIe siècle. Avant les travaux entrepris, on ignorait absolument tout de cette abbaye ; jusqu'à son emplacement était inconnu. Persuadé par quelques années de fouilles médiévales que la permanence du lieu de culte est une constante qui souffre peu d'exceptions, nous commençâmes les recherches en 1966 sur le transept de l'église du XIIIe siècle. Rapidement apparurent les soubassements de la première abbatiale.
        Parmi tous les vestiges les mieux conservés du premier monastère, les fondations de l'église, intactes dans leur totalité, constituent la principale découverte. Une publication détaillée leur a déjà été consacrée ; il suffit d'en résumer ici l'essentiel.
        Il s'agit d'une construction menée d'un seul jet, sans césure ni remaniement, et qui livre un plan bernardin de grande rigueur avec son chevet plat si caractéristique et un choeur très petit, parfaitement adapté à la première liturgie cistercienne. Cette église mesurait 49 m de long, le transept 22 m de large, le tout pris dans oeuvre. Le vaisseau des nefs, d'une largeur de 14 m, s'allongeait sur neuf travées. Sur le plan, l'étroitesse de ses dimensions accentue l'impression de longueur que l'on rencontre dans certaines abbatiales cisterciennes mais non dans toutes. De chaque côté du choeur, s'ouvraient dans les croisillons du transept deux petites chapelles latérales, large chacune de 2 m ; elles étaient réservées aux messes privées des moines prêtres. Une étude attentive des supports du transept permet d'autre part de supposer que cette première église Vauclair était couverte d'une voûte du type de celle de Fontenay, c'est-à-dire par un berceau central épaulé perpendiculairement à la croisée. Un porche assez étroit précédait la façade et une sacristie fort exiguë s'élevait au-delà du croisillon méridional.
        Outre cette église si typée, qu'à-t-on pu trouver de ce premier monastère entièrement disparu ? Les recherches ont permis de mettre au jour certaines fondations du cloître, celles du bâtiment des convers, d'une grande partie de l'aile des moines et des fragments épars du réfectoire.
        Mais avant de passer en revue ces diverses constructions, il faut dire un mot de l'appareil très caractéristique de toutes les fondations appartenant à cette première campagne. Il s'agit à première vue d'un assemblage assez singulier de petits moellons non taillés, liés uniquement avec du sable brun ou gris, sans aucune trace de mortier. De forme plus ou moins arrondie, ils ont 10 x 15 x 10 cm au moins et 20 x 10 x 15 cm au plus. Dépourvus de tout parement plane, ils sont assemblés en blocage, de manière habilement serrée, sans que l'on puisse parler d'assises régulières (n° 244). Le matériau utilisé est un calcaire lutétien inférieur, une pierre dure et grise dont la principale originalité est une concentration dense de nummulites, tout petits fossiles semblables à des boutons. Pour le second monastère, les constructeurs utiliseront un matériau différent, un calcaire lutétien moyen et supérieur, plus tendre et plus facile à tailler.
    Une difficulté inattendue allait rendre malaisées toutes les recherches concernant les lieux réguliers du XIIe siècle complètement arasés. Alors que les fondations de l'église subsistaient sur une profondeur de 1,80 à 1.90 m, celles des murs du cloître et des autres bâtiments voisins se réduisaient à seulement deux ou trois assises de petits moellons décrits ci-dessus. Comme le niveau actuel, celui du cloître du XIIIe siècle, est à un mètre plus bas que celui des abbatiales, il est possible que cette disposition, symbolique plus que fonctionnelle, ait été adoptée lors de la construction du second monastère. En surcreusant l'espace situé au sud de l'ancienne église afin de placer la nouvelle sur une relative élévation, il a fallu détruire les fondations des bâtiments du XIIe siècle qui n'auraient alors gardé que les 20 à 50 cm retrouvés. Il semble n'y avoir aucune autre explication plausible à cette apparente singularité.
    Cette large amputation a rendu les recherches du tracé du premier cloître particulièrement difficiles et requis un travail très attentif. Les bases du mur septentrional subsistaient en place car elles constituaient les fondations du gouttereau méridional de l'abbatiale. Le mur oriental a également été retrouvé, jointif aux fondements de la façade ouest de l'aile des moines du second monastère. Par contre, les fondations des galeries ouest et sud avaient été en partie arrachées ; il a fallu les restituer en négatif. On aboutit de la sorte à un cloître carré de 27 cm de côté avec des galeries larges de 2,45 m.
        Les fouilles ont également mis au jour les soubassements du bâtiment des convers, en place sur plusieurs assises, sauf à l'extrémité nord. Il s'agissait d'une construction très allongée, sur près de 70 m pour seulement 6,25 m de large ; son extrémité méridionale débordait bien au-delà de l'angle sud-ouest du cloître. A peu près en son milieu, les recherches ont permis de trouver un grand foyer central typique des premiers chauffoirs cisterciens ; une cavité rectangulaire (3,80 x 1,40 m et 0,50 de profondeur) dont les parois de gros moellons de calcaire lutétien inférieur reposent sur une base de grandes dalles irrégulières en grès recouvertes postérieurement par deux niveaux superposés, en dessous, de gros carreaux de terre cuite disposés horizontalement ; au-dessus, à fleur de sol lors de leur découverte, des tuileaux rouges disposés sur chant et formant des ensembles triangulaires. A part un exemple possible à Clairvaux, on ne connaît pas d'autres emplacements de foyer dans un bâtiment de convers du XIIe siècle. Il est vrai qu'on ne sait pratiquement rien de ces constructions pour cette époque. La longueur exceptionnelle de celui de Vauclair semble en tout cas révélatrice du nombre élevé de convers dans l'abbaye au XIIe siècle. Cette donnée a probablement joué un rôle essentiel dans la conception du second bâtiment édifié au XIIIe siècle.
        La ruelle des convers enfin était en réalité un espace libre entre le mur ouest du cloître et la façade orientale du bâtiment précédent ; large de 7,20 m dans le monastère du XIIe siècle, elle sera encore plus ample dans celui du XIIIe. L'expression tardive "ruelle des convers" paraît ici bien trompeuse. Si, comme à Frontfroide, elle n'était parfois qu'un étroit couloir, elle semble avoir été bien souvent, comme à Vauclair, une véritable cour à ciel ouvert permettant au convers d'accéder à l'église par la porte qui leur était réservée. Nous y reviendrons pour une mise au point.
        Malgré les arasements des constructeurs du XIIIe siècle, quels autres vestiges du premier monastère les fouilles ont-elles révélés ? Une partie des fondations de la façade ouest de l'aile des moines a été découverte, en place, accolée devant les bases de l'actuelle salle du chapitre. Mais la forte densité des larges constructions du XIIIe siècle, dans l'aile des moines du second monastère, a arraché toutes les traces du mur oriental comme aussi ses extrémités méridionales. Certains soubassements, perpendiculaires à la galerie sud du cloître, appartiennent sans doute à l'aile dite habituellement du réfectoire, même si aucune trace de ce bâtiment n'a pu être retrouvée. Ajoutons pour terminer que si certaines petites constructions de la première abbaye existaient dans le quartier des hôtes, aucun vestige d'une porterie de la même époque n'a été mis à jour.

2) Le second monastère (XIIIe siècle)

        Pour de multiples et complexes raisons qu'il n'y a pas lieu d'évoquer ici mais suivant en cela une évolution constatée dans bon nombre de monastères cisterciens de cette époque, les moines de Vauclair décidèrent de remplacer leurs premières constructions par un second monastère beaucoup plus vaste. On sait que la seconde abbatiale fut consacrée le 24 juin 1257. Or, toute la recherche archéologique a montré de manière indiscutable que cette église, d'ailleurs inachevée, se présente comme l'ultime réalisation de cette grande campagne de construction. L'arasement systématique du premier monastère eut donc lieu durant la première moitié du XIIIe siècle. La plupart de ces nouveaux bâtiments resteront intacts jusqu'en avril 1917 ; ils alors anéantis par les tirs d'artillerie de l'offensive du général Nivelle.
        Comment se présentait Vauclair à la veille de la Grande Guerre ? Le superbe bâtiment des convers était debout et couvert. Le rez-de-chaussée de l'aile des moines subsistait aussi mais l'étage était ruiné et il n'y avait plus de toiture. Le chapitre, la sacristie, la chapelle de l'abbé et le passage étaient en place. La salle des moines, désaffectée au XVIIe siècle, demeurait et dans son prolongement avait été construit un élégant bâtiment de style classique, encore sous toit en 1914. La porterie, le colombier et certaines des constructions du quartier des hôtes existaient toujours. Seule l'abbatiale avait été rasée. Une gravure de Pinget datée de 1821 la présente déjà très endommagée, comme celle de Longpont aujourd'hui ; mais les premières photos connues de Vauclair remontant aux années 1900 - 1914 révèlent la disparition de tous ses murs. En somme, hormis l'église devenue inutile, la plupart des bâtiments subsistaient donc bien depuis la Révolution et servaient d'habitation au véritable petit village qui s'était installé à Vauclair après le départ des moines. Enfin, contrairement à la Déclaration des biens et revenus de l'abbaye... rédigée vers 1790 et estimant l'enclos monastique à environ vingt-quatre arpents soit douze hectares, le mur d'enceinte, intact lui aussi, mesurait près de deux kilomètres de longueur et délimitait un espace clos de dix-sept hectares.
        Toutes les constructions appartenant au second monastère présentent un appareil identique, fort différent des fondations du XIIe siècle. Il s'agit cette fois de moellons de calcaire lutétien moyen, liés avec des lits abondant d'un excellent mortier légèrement verdâtre. Splendide appareil à la vérité, sans aucun blocage intérieur, mais avec une utilisation homogène d'excellentes tailles, de parement à parement et depuis la base des fondations : des murs pleins au sens vrai du terme. Les modules sont généralement les suivants : 25/35 x 50/60 x 30/35 cm pour les parements et 30 x 25 x 15 cm pour l'intérieur.
        Contrairement aux fouilles de la première, celles de la seconde abbatiale se sont heurtées à une réelle difficulté car les fondations avaient souvent été arrachées jusqu'à la racine des murs, heureusement, les chaînages et les bases des piles restaient en place. Mais il a fallu étudier les profils avec grand soin pour restituer certains murs en négatif ; cette opération fut cependant facilitée par les nombreuses traces de mortier verdâtre retrouvées dans les remblais d'arrachement. Le plan inconnu de cet important édifice a de la sorte pu être restitué avec fidélité. Une vraie surprise attendait les chercheurs : la nef de cette importante construction n'a jamais été achevée. Commencés par le choeur, les travaux s'arrêtèrent au bout des deux premières travées. Des fondations d'appareil fort différent se trouvent plus ou moins juxtaposées à l'emplacement de cette coupure pour soutenir une façade improvisée. Convenons cependant que l'ampleur même du transept et de l'abside de ce sanctuaire devrait suffire aux besoins d'une communauté.
        Cette seconde abbatiale était un ample édifice gothique avec déambulatoire et cinq chapelles rayonnantes à chevet polygonal. Le transept mesurait 48 m de large, la nef 24 m, bas-côté compris, mais avec seulement deux travées, n'avait que 14 m de long ; soit une longueur totale de 53 m. Comme on peut le constater d'emblée, cette seconde église de Vauclair directement copiée sur celle de Longpont qui, terminée dès 1227, allait inspirer maintes reconstruction cisterciennes au XIIIe siècle dans tout le Bassin Parisien. Vauclair II reprit le plan de Longpont en le réduisant légèrement et en l'adaptant quelque peu : les piles rondes adoptées comme supports ont 1,06 m de diamètres (1,07 à Longpont) et n'y a que cinq chapelles rayonnantes au lieu de sept. Les importantes fondations descendent jusqu'à 2,80 m du niveau d'occupation déterminée par le seuil d'entrée de la sacristie.
        Un autre élément singulier mis au jour par les fouilles est une large plate-forme d'épaisse maçonnerie continue occupant une grande partie du transept et du choeur. Il s'agit manifestement de réemplois provenant de la première église. Un phénomène semblable observé au monastère cistercien voisin de Signy paraît résulter d'une exigence canonique beaucoup plus que d'une nécessité technique : les pierres d'un édifice consacré ne pouvant plus servir à un usage différent, elles étaient soit réemployées dans un sanctuaire postérieur, soit enterrés pour ne pas encourir une sorte de profanation.
        Avec cette église, nous sommes bien loin des humbles et rigoureuses abbatiales de la première génération de Cîteaux. Une comparaison entre Vauclair I et Vauclair II constitue une éloquente démonstration de l'évolution de l'ordre cistercien : moins d'un siècle sépare les deux constructions mais ce sont deux mondes entièrement différents. Dès le XIIIe siècle, Cîteaux est pris par la maladie de bâtir grand et les chapitres généraux n'y pourront rien.
        Le second cloître a, lui aussi, pu être restitué avec précision. Il formait un carré de 35 m de côté avec des galeries larges d'un peu plus de 3 m. De l'aile des moines et du bâtiment des convers, subsistent aujourd'hui à Vauclair d'imposants vestiges qui ont retrouvé un cadre digne de leur beauté. Fidèle au caractère strictement archéologique de cette étude, laissons ces importantes constructions à la publication architecturale qui leur sera consacrée. Rappelons cependant que le bâtiment des convers était non seulement l'un des plus remarquables de l'ordre, mais que le grand dortoir du premier étage était comparé aux plus belles réussites de l'art médiéval. Soulignons aussi à nouveau l'ampleur de la ruelle des convers qui, à Vauclair au XIIIe siècle, était une véritable cour, large de 11,25 m.
        A l'emplacement traditionnel de l'aile du réfectoire, c'est-à-dire habituellement au sud du cloître, les recherches devaient aboutir à une conclusion surprenante : il n'existe là aucune fondation d'un quelconque bâtiment. Un fait d'observation avait déjà attiré l'attention avant même le début des fouilles : toutes les constructions du XIII siècle ont partout laissé des traces au sol, sauf à cet endroit. Et toutes les photographies de l'abbaye avant 1914 montrent une absence complète de bâtiment sur ces emplacement. Cette vacance d'une aile aussi importante comportant ordinairement réfectoire, cuisine et chauffoir semblait tellement étonnante que les recherches y ont été menées avec une particulière minutie, en n'écartant aucun indice et en multipliant les vérifications. Rein n'y fit, il fallut se rendre à cette évidente certitude : le monastère du XIIIe siècle à Vauclair ne possédait pas d'aile méridionale. Au-delà de la galerie du cloître dont le tracé précis a été retrouvé, s'étend un espace entièrement vierge de toute fondation et par là de toute construction.
        Surprenante constatation posant en conséquence immédiatement la question de l'emplacement du réfectoire et de la cuisine des moines. Quinze années de recherches méthodiques dans tous les lieux réguliers autorisent une seule conclusion : la communauté du XIIIe siècle utilisa le réfectoir du bâtiment des convers. Plusieurs arguments de poids vont en ce sens. Au rez-de-chaussée de la moitié méridionale de ce bâtiment se trouve une vaste salle à usage de réfectoire ; longue de 28 m et large de 12,50 m, elle semble manifestement démesurée pour le nombre de convers que Vauclair pouvait posséder. Mais elle avait le mérite d'exister au moment précis où la communauté, incapable d'achever son abbatiale, est chargée de lourdes préoccupations financières. En réalité, cette monumentale bâtisse, par laquelle commença la campagne de reconstruction du XIIIe siècle, devait se trouver partiellement disponible quand on sait la baisse spectaculaire de l'effectif des convers dès avant 1250. L'utilisation de cette salle par les moines s'inscrit donc dans une incontestable logique. Au surplus ce local a connu après son achèvement un remaniement intérieur peut-être significatif : une séparation murée isola les deux travées de l'extrémité nord, du côté du passage, sans doute réservées aux convers alors que la communauté utilisa les quatre autres travées.
        Reste à résoudre le problème de le cuisine. Là aussi, les données archéologiques fournissent une hypothèse plausible. On a constaté, parmi les bâtiments du XIIIe siècle, l'existence d'une aile des convers fort allongé, à quelques mètres seulement de l'aile du XIIIe siècle. Lors des fouilles sur son emplacement, une série de découvertes furent particulièrement remarquées. Sur toute la superficie de la partie méridionale de cette construction, les recherches mirent au jour plusieurs foyers assez étendus, avec niveau de tuileaux en terre cuite ; et toute la surface du sol, fortement rubéfié, trahissait un usage prolongé du feu. Plus décisive encore fut la découverte de nombreux tessons émaillés, de couleur verte, jaune et brune, parmi lesquels certains appartenaient manifestement à des poteries tardives des XVIIe et XVIIIe siècle. Aussi ces données permettent-elles de penser que la communauté du XIIIe siècle conserva à cet endroit sud de l'ancienne aile des convers et y implanta d'autant plus aisément sa cuisine qu'elle se trouvait à quelques mètres seulement du lieu choisi comme réfectoire pour les moines. Cette absence d'aile éclaire une nouvelle fois l'essoufflement général de beaucoup de constructions à partir du Milieu du XIIIe siècle.
        L'hôtellerie, secteur traditionnel de l'habitat monastique, est peu connue. Les cisterciens n'échappent pas à cette réalité. Elle répond pourtant à une exigence essentielle de la règle de saint Benoît : l'accueil des hôtes. Mais dans une abbaye cistercienne, contrairement aux habitudes bénédictines, ils n'ont pas accès aux lieux réguliers où règne une clôture stricte. Cette interdiction entraîne la nécessité d'un logement, d'un réfectoire et par là d'une cuisine distincts de ceux de la communauté. L'investigation archéologique d'un tel quartier doit tenir compte de ces données pour en confirmer ou en infirmer l'usage, c'est-à-dire pour vérifier le degré d'observance du monastère.
        A Vauclair, ces constructions occupent l'emplacement traditionnel, entre la porterie et les lieux réguliers. La majeure partie de ce secteur a pu être fouillée, mais la plantation de peupliers qui en occupait l'extrémité méridionale avait empêché d'y achever les recherches ; une coupe effectuée en 1980 a libéré le terrain et les fouilles ont repris. Pour l'essentiel, l'hôtellerie du XIIIe siècle est composé d'un ensemble cohérent avec bâtiment des hôtes, cuisine, glacière et vivier.
        Orienté nord-est/sud-ouest, le bâtiments des hôtes mesure 6,50 m de large sur 12 m de long. Ses fondations présentent l'appareil typique rencontré dans les soubassements de toutes les constructions du XIIIe siècle ; elles ont 1,05 m de large et leur première assise se trouve à 1,70 m du niveau d'occupation antérieur. On peut donc légitimement supposer l'existence d'une bâtisse à étage. Elle était divisée en deux par un mur de refend dont les matériaux sont identiques à ceux des murs extérieurs et qui s'y trouve engagé. A égale distance des parements intérieurs des murs ouest et est, il s'arrête pour céder la place à un foyer de chauffage, exactement au milieu de l'ensemble. Ce foyer est une cavité rectangulaire de 2,20 sur 1 m. Le fond est un niveau de carreaux de terre cuite rouge de deux types (14,3 et 15,5 cm au carré) et de tuileaux disposés horizontalement. A l'est et à l'ouest, l'extrémité intérieure du mur de refend constitue le bord de ce foyer ; au sud, il est limité par un niveau de tuileaux identiques à ceux du pavement en place dans toute la pièce méridionale ; au nord, il déborde légèrement le parement du refend sur 35 à 40 cm à l'intérieur de l'autre pièce. Comme par ailleurs les fondations de ce mur cessent à la hauteur du foyer, celui-ci ne repose sur aucune assise maçonnée. Il ne s'agit donc pas d'une cheminée murale mais bien d'un foyer central ouvert à la fois sur les deux pièces contiguës. Dans l'angle nord-est de la pièce méridionale, les restes d'un pied-droit indiquent l'emplacement d'une porte située le long du mur oriental et permettant le passage d'une salle à l'autre. Il est impossible de se faire une idée de l'élévation de cette ingénieuse disposition ; et comme les fouilles n'ont apporté aucun élément de réponse, mieux vaut s'en tenir à un silence prudent. Une coupe effectuée dans la surface de feu a montré que sous les carreaux les constructeurs avaient disposé une épaisse couche d'argile reposant elle-même sur un lit de petits moellons calcaires ; la profondeur des zones rubéfiées prouve que ce foyer a fonctionné pendant longtemps.
        A quelques mètres à peine au sud-est , les fouilles ont mis au jour les fondations d'une autre bâtisse de 6,75 m de large sur 10m de long et à l'intérieur de laquelle ont été trouvés des foyers assez étendus. Les remaniements successifs de cette construction et l'inachèvement de la fouille au sud à cause des peupliers empêchent d'en dire davantage. Il semble toutefois bien s'agir de la cuisine associée étroitement à la maison des hôtes.
        A une quinzaine de mètres à l'ouest de ce bâtiment, les recherches ont découvert une glacière. C'est une cavité circulaire de 2,30 m de diamètre et aux parois très épaisse, 1,20 m. Du côté du vivier à l'ouest, les fouilles ont révélé les larges fondation de deux murs parallèle et perpendiculaires à la cavité, sans doute les bases d'un couloir d'accès. Dans leur partie verticale, les parois intérieures sont faites de neuf assises régulières de 18 cm de hauteur de moellons taillés avec soin avec chacun un parement concave. La dernière assise repose sur le sol en place, un sable gris très fin. Le fond ne comportait aucun pavement ni empierrement. A partir du rebord supérieur de la plus haute assise, le profil vertical fait place à un léger retrait avec superposition de moellons plats que l'on retrouve tout autour de la cavité. Du côté oriental, le mieux conservé, il apparaît clairement que ces moellons constituent le départ d'une voûte dont la majeure partie a été arrachée.
        Ces vestiges ne peuvent être ni ceux d'un puits, beaucoup plus étroit à Vauclair, ni ceux d'une citerne car il n'y a aucune trace d'adduction d'eau ; ce sont manifestement ceux d'une glacière. Elle faisait partie de l'hôtellerie du XIIIe siècle comme le prouvent les fondations en place avec leurs moellons liés au mortier verdâtre bien caractéristique de la seconde campagne de construction. Et son emplacement, d'une logique fonctionnelle bien cistercienne, l'intègre parfaitement dans le complexe de l'hôtellerie, entre le vivier vers lequel s'ouvrent le couloir d'accès et le bâtiment des hôtes.
        Au moment de sa découverte, cette glacière était encombrée d'un remblai précieux car elle avait servi de dépotoir aux ustensiles domestiques de la cuisine. Une excellente étude a été consacrée au mobilier retrouvé, poteries, jetons, étains notamment, assez homogène pour être daté de la première moitié du XVI e siècle. L'abandon pourrait donc bien se placer sous l'abbatiat de Marin Berthain (1522-1579) dont la gallia christiana dit, sans préciser, qu'il fit exécuter certaines réparations dans le monastère.
        Entre la porterie et la glacière, les fouilles de 1980 ont mis au jour un grand vivier rectangulaire de 25 m de long sur 15,50 de large. Les parois sont constituées par d'épaisses maçonneries, larges de 1,25 m et hautes de 1,40 m. Le parement, très régulier, présente à la base trois ou quatre assises de 20 à 35 cm chacune en moellons assez allongés mesurant parfois jusqu'à 0,90 et même 1,05 m, liés avec des lits de mortier assez abondant. Au-dessus de ces bases et pour assurer le sommet de ce parement, il y a alignement de très gros blocs taillés assez régulièrement, 60 x 70 x 50 cm en moyenne. A l'arrière, c'est un blocage serré de moellons plus petits (10/17 x 15/40 x 7/15 cm) liés au mortier ocre clair et parfois verdâtre. Il n'y a aucun réemploi dans toutes ces fondations.
        Toute la surface intérieure est composée d'un niveau très soigné de dalles calcaires de dimensions variables mais dont l'épaisseur est comprise entre 12 et 15 cm. Une coupe opérée dans une cassure de ce dallage révèle toute l'habileté et tout le soin apportés par les constructeurs à travers quatre couches horizontales successives : immédiatement sous les dalles, 10 à 12 cm de sable homogène de couleur un peu verdâtre, puis un niveau d'argile sur 10 cm environ, 10 à 13 cm de petit moellons calcaires concassés et réduits à l'état d'empierrement très compact, un niveau composite avec poches d'argile grise, sable et plaques de mortier verdâtre sur 20 cm, et enfin, à quelque 60 cm sous le dallage, sol en place, un sable gris très clair dit sable de Bracheux.
        Cet ensemble dont la fouille n'est pas achevée, ne peut être qu'un beau vivier. L'emplacement paraît choisi fonctionnellement, proche des cuisines de l'hôtellerie et de la glacière ainsi approvisionnée en glace durant l'hiver. Sans compter avec le rôle symbolique d'une pièce d'eau à l'entrée d'une abbaye : un vivier n'est-il pas ce sauvoir dont parle saint Bernard quand il évoque sa pêche des âmes ?
        Les dimensions des constructions du quartier des hôtes montrent clairement que ces lieux d'accueil n'étaient destinés qu'à des groupes très limités ou des personnes isolées. une hôtellerie cistercienne du XIIIe siècle était bien différente des immenses bâtisses bénédictines ou certaines abbaye de Cîteaux des XVIIe, XVIIIe et la fin du XXe siècle ! Des fouilles comme celles de Vauclair illustrent bien les strictes limites de la fonction d'accueil d'un monastère cistercien médiéval. Sur ce point, les résultats des recherches s'accordent parfaitement avec l'opinion de G. Duby : "Veillant à son isolement, Cîteaux avait rompu avec les fonctions d'hospitalité si largement remplis par le monachisme occidental et qui coûtaient tant..."
        Reste, pour avoir terminé l'approche de ce second monastère de Vauclair, à présenter la porterie. Elle abritait la seule entrée donnant accès à l'enclos monastique fermé par le mur d'enceinte. Elle a connu beaucoup de vicissitudes et de remaniements au fil du temps mais aussi bon nombre d'hésitations et de repentirs à cause du caractère très marécageux de son emplacement. Trois phases principales semblent avoir marqué son évolution.
        En l'absence de tout vestige du XIIe, la première phase d'édification appartient sans nul doute à la campagne de construction de la première moitié du XIIIe siècle. Il s'agit de deux bâtiments distants de 9 m et orientés selon un axe est-ouest ; celui du nord mesure 11 m sur 5,60 de large et celui du sud, plus ample, 12,50 sur 11 m. Leurs deux murs ouest, épais d'environ 1,75 m, constituent une véritable façade défensive. Le bâtiment nord était divisé en deux par un mur de refend contre lequel a été découverte la surface de feu d'un petit foyer, sans doute une cheminée murale. Dans l'angle sud-ouest, auprès d'une porte d'accès, des bancs de pierre étaient accolés au mur occidental. Quand les assises supérieures de ces fondations apparurent, elles surprirent par leur caractère particulièrement irrégulier car les deux parements du mur nord ondulaient au lieu de présenter un tracé rectiligne. C'est qu'à cet emplacement les soubassements sont posés sur des pilotis de bois, pieux de bouleaux et de chênes d'un mètre et demi enfoncés verticalement dans le marais sous-jacent. Les fouilles ont aussi retrouvé un pavement de carreaux à décors incrustés fort usés dont il a été possible de retracer le dessin exact. Son étude est réservée pour une publication d'ensemble sur tous les carreaux de ce type découvert à Vauclair. Dans le bâtiment méridional, les recherches ont mis au jour une cheminée murale et un alignement de trois bases de piliers, sans doute des fondations de pîles soutenant une voûte, et une cave.
        Peu de temps après la mise en service de l'édifice, une seconde phase amputa la partie orientale du bâtiment nord qui fut clos par un nouveau mur. Une importante quantité de carreaux émaillés appartenant au pavement primitif a été retrouvée dans les remblais de cette démolition : quasiment neufs, ils révèlent un usage fort limité.
        La troisième phase est en fait un bouleversement très profond qui va aboutir à la mise en place d'une construction unique, orientée nord-sud et qui, pour l'essentiel, subsistera jusqu'en 1914. L'extrémité est du bâtiment méridional fut à son tour mise à bas et deux façades parallèles, l'une à l'est, l'autre à l'ouest, furent construites sur toute la longueur de la porterie percée à peu près en son centre par un passage charretier de 3,70 m de large. Pour mener à bien ce travail, on désaffecta l'ancienne cave de la phase II du bâtiment sud, et on en construisit deux nouvelles, l'une au centre de l'aile méridionale, contre le mur, et l'autre à l'extérieur de la façade ouest. On installa une nouvelle cheminée dans le bâtiment nord surélevé dans son occupation. Une monnaie trouvée au niveau même des fondations arasées peut éclairer sur la date de ces transformation ; c'est un blanc au K, en argent, de Charles V, frappé en 1365. Or on sait que les sources écrites révèlent une destruction partielle de l'abbaye en 1359 lors du raid d'Edouard III sur Reims, au cours de la guerre de Cent ans ; et que l'abbé Jean de Colleret (1362-1394) eut à réparer ces dégradations anglaises. Il est donc fort plausible de placer sous son abbatiat les bouleversements du plan primitif de la porterie de Vauclair. Ajoutons pour finir, qu'un remaniement superficiel de la façade occidentale intervint quand l'abbé Louis Brulard y apposa un portail classique visible avant sa destruction en 1917 et au-dessus duquel il fit placer judicieusement une coquille avec le millésime 1695.
        Les recherches ont enfin permis de découvrir l'ordre suivi dans la construction des bâtiments des lieux réguliers du XIIIe siècle. Cette campagne commença par l'édification de l'aile des convers, se poursuivit par le cloître puis l'aile des moines et s'acheva prématurément par l'abbatiale. Ces fouilles ont aussi révélé comment toutes les fondations du XIIIe siècle ne réutilisent jamais celles du XIIe ; elles ont toujours été implantées exactement contre les soubassements précédents, là où un nouveau bâtiment devait remplacer un ancien. Cette méthode se comprend d'autant plus aisément que le premier monastère était un ensemble roman et que le second appartenait à l'art gothique ; les poussées exercées sur les murs sont bien différentes avec des édifices utilisant la croisée d'ogives.

3) Les rénovations (XVIIe siècle)

        Peu de choses essentielle semblent changer à Vauclair entre les XIIIe et XVIIe siècles. Il y eut bien quelques réfections, on l'a vu, au lendemain de la guerre de Cent ans ; le milieu du XVIe siècle vit la construction d'une façade définitive pour l'abbatiale inachevée et l'édification de l'église paroissiale Saint-Martin exposée ci-après. Mais il faut attendre le XVIIe siècle pour que le monastère connaisse un important programme de rénovation dont les fouilles révèlent l'ampleur et l'étendue.
        Certaines circonstances historique expliquent aisément ce renouveau. Il y eut d'abord l'action d'un grand abbé, Claude de Kersaliou (1627-1653). Ce cistercien breton était le conseiller spirituel de Mère Angélique Arnauld ; il est à l'origine de la fameuse journée du Guichet. Ecarté de Port-Royal par la vindicte de la famille Arnaud, il fut nommé abbé à Vauclair par Louis XIII, le 26 juin 1627. Cette mesure de disgrâce fut un bienfait pour l'abbaye où, dès 1635, il rétablit la stricte observance. Le traité des Pyrénées fut aussi un événement décisif car il mit fin en 1659 à l'une des périodes les plus bouleversées du Laonnois et du Soissonnais. Vauclair, qui était l'une des rares abbayes d' Ile-de-France à ne pas connaître la commende, va alors retrouver un siècle et demi de paix, de vie monastique régulière et de rénovation de plusieurs bâtiments.
        L'une des premières reprises fut celle de l'hôtellerie, brûlée en 1590 par les Ligueurs de Laon. Elle sera remplacée par une construction toute nouvelle, orientée selon un axe nord-est/sud-ouest et sur l'emplacement arasé du bâtiment du XIIIe siècle. Les fouilles ont mis au jour les fondations de cette bâtisse allongée sur près de 30 m pour seulement 4,30 m de large et décrite par Dom Guyton après sa visite de 1744. Elle était certainement achevé dès 1650 car on ne s'expliquerait pas autrement l'emplacement du trésor monétaire qui y fut découvert en 1973. Signalons aussi, entre le quartier des hôtes et la façade occidentale de l'aile des convers, une longue cave autrefois voûtée implantée obliquement et dont les parois sont d'une réalisation fort soignée avec un parement en pierres de taille très remarquables.
        Les fouilles ont également révélé un remaniement du cloître postérieur au XIIIe siècle. Les galeries nord et est ont été légèrement rétrécies par la construction d'un nouveau mur de préau, plus rapproché des bâtiments en place. Ainsi toutes les sépultures de la galerie devant le chapitre et la sacristie ont-elles été amputées de leur extrémité ouest. Diverses données autorisent à dater cette reprise avec certitude du XVIIe siècle. Sur les vestiges mutilés du nouveau mur de préau de la galerie nord, on a trouvé comme supports des voûtes, des profils de pilastres classiques, typique de cette époque. Et de multiples arcatures du cloître du XIIIe siècle ont été réemployées comme couverture des nouveaux canaux restaurés à cette période.
        L'une des rénovations les plus considérables semble bien avoir été la refonte complète du réseau de canalisations et dont nous allons parler plus longuement ci-après. En aval de la digue de l'étang, on édifia un nouveau moulin. D'autre part, l'aqueduc fut complètement remanié, depuis le bas de la digue jusqu'à la porterie et même reconstruit sur un nouveau parcours à certains endroits. Sa couverture est faite presque entièrement de pierres taillées provenant des bâtiments du XIIIe siècle et réemployées. On peut également citer les nombreuses petites canalisations en terre cuite retrouvées dans toute l'abbaye.
        Un sobre et élégant bâtiment classique fut aussi construit à cette époque en prolongement de l'extrémité méridionale de l'aile des moines après désaffection de l'ancienne salle du XIIIe siècle. Connu par certaines photographies d'avant 1914, ce bâtiment, dont les fondations mesurent 29 m sur 12, a peut-être remplacé l'ancienne salle des moines ; mais ce n'est là qu'une hypothèse.
        Ajoutons encore que l'ancien colombier, symbole seigneurial visible à l'entrée de toutes les abbayes, était circulaire et datait du XIIIe siècle, on le remplaça par une construction neuve, de style Louis XIII, avec parure de briques rouges et plan octogonal.
        L'appareil des fondations et des murs du XVIIe diffère profondément des superbes maçonneries des XIIe et XIIIe siècle. Il est révélateur d'une situation matérielle difficile. On utilisa avec un extrême souci d'économie beaucoup de réemplois divers provenant de toutes les destructions accumulées lors des périodes troublées. Aussi la régularité des assises en souffre-t-elle et les rattrapages sont-ils nombreux malgré le soin mis à garder une certaine dignité.

 

III) AUTOUR DES LIEUX REGULIERS

Les fouilles dans l'enceinte de Vauclair ont permis de mieux découvrir ce que fut l'environnement immédiat des religieux à travers trois thèmes principaux : l'église Saint-Martin, la maîtrise de l'eau et les ateliers monastique.

1) L'église Saint-Martin

        Les recherches menées dans le secteur de la porterie ont mis au jour les fondations remarquablement conservées d'une petite église située à quelques mètres au nord-est de l'entrée de l'abbaye. Ces soubassements ont une épaisseur d'environ 1,25 m. Il s'agit d'un édifice mesurant 20,25 m de long et 7,25 de large dans oeuvre, avec chevet semi-circulaire terminant le choeur et de puissants contreforts épaulant le tout. Aucune pile intérieure ni transept mais une appendice rectangulaire de 3 x 3,50 m se greffe sur l'extrémité nord de l'abside. L'examen des fondations révèle une construction parfaitement homogène, bâtie d'une seule venue, sans arrêt ni remaniement. L'appareil est en moellons de taille moyenne (30 x 25 x 20 cm) liés par un mortier gris, un peu jaunâtre en lits abondants. L'âme du mur est constitué d'un blocage serré de pierres quasiment identiques à celles des parements.
        De quel édifice s'agit-il ? les sources écrites fournissent deux certitudes. La charte de fondation cite très clairement l'existence d'une église (altare) à Vauclair avant l'arrivée des moines ; mais sans donner le moindre renseignement sur sa localisation. La carte de Cassini indique par ailleurs une église Saint-Martin à l'ouest de l'abbaye ; et un plan schématique de réfection du Chemin des Dames montre aussi une église près de la porterie, à l'emplacement précis où fut mis au jour de sanctuaire précédemment décrit. Plusieurs registres et une visite du XIIIe siècle font d'autre part mention, toujours vers la porterie du monastère, d'une paroisse Saint-Martin desservie par les moines, sans visite épiscopale. Il ne fait aucun doute que les fondations découvertes sont celles de cette église paroissiale Saint-Martin. Mais est-ce que l'altare de Curtmenblein d'avant 1134 ? Ou un édifice plus tardif ? 
        Le plan des fondations est incontestablement celui d'une petite construction gothique comme le prouvent les importants contrefort qui l'enserrent. Leur nombre et leur disposition s'accordent fort bien avec une quadruple croisée d'ogives et un choeur voûté à triple nervure malgré l'absence de transept. Plusieurs réemplois significatifs, un lamier, un support et un fragment de bandeau notamment, ont des profils semblant bien dater du XIIe siècle. La stratigraphie montre que cet édifice a été construit sur un emplacement vierge de toute occupation antérieure. Toutes les tombes découvertes proviennent d'inhumations faites après l'achèvement de l'église car les fosses ont crevé la couche uniforme de poussière de pierre ayant recouvert toute le superficie intérieure lors de le construction de l'édifice. Le remblai même des tombes livre, outre de rares morceaux de poterie commune gallo-romaine, une majorité de tessons verts et jaunes des XVe et XVIe, entre autres des fragments de coupelles à usage funéraire certainement pas antérieures au XIVe siècle. Ces fondations sont donc bien celles de l'église paroissiale Saint-Martin que maintes sources signalent en usage à Vauclair jusqu'à la Révolution ; et non celles de l'altare de Curtmenblein situé certainement ailleurs. Comme dans de nombreux exemples régionaux, l'absence de transept permet de supposer une construction du XVe siècle.
        Mais pourquoi une église paroissiale dans une abbaye cistercienne et non une chapelle des étrangers extérieur à l'enceinte monastique comme à l'accoutumée ? Cette rarissime exception dans l'ordre de Cîteaux ne semble pouvoir s'expliquer que parce que les religieux se sont vus confier la charge de l'altare que l'évêque de Laon leur accorda en 1134. Le culte a donc dû se poursuivre dans le sanctuaire primitif, en dehors de l'enceinte monastique. Si peu que l'on connaisse l'univers cistercien de cette époque, il est évident que pareille situation était plus subie qu'acceptée par la communauté de Vauclair. Aussi les moines ont-ils pu profiter des nécessaires reconstructions après la guerre de Cent ans pour rebâtir à un endroit plus propice le sanctuaire paroissial primitif. L'emplacement de l'église découverte à l'entrée de l'abbaye, coupée des lieux réguliers et du quartier des hôtes, est très révélateur. Reste le problème de la localisation de l'altare existant à l'arrivée des moines ; nous y reviendrons.
        Une nécropole fort dense entoure cette église Saint-Martin. Un carré de fouilles parmi d'autres, le D3, est bien caractéristique à cet égard. Sur une superficie de 9m2, on y trouve douze squelettes de petits enfants pour seulement deux adultes, proportion qui est celle de tout le cimetière. Cet éclairage archéologique sur la mortalité infantile est d'ailleurs parfaitement confirmé par les registres paroissiaux. L'extrême exiguïté de l'enclos funéraire explique aussi que ces sépultures soient très serrées, mêlées sur plusieurs niveaux et même souvent bousculées les unes par les autres. Certaines ont des cercueils, d'autres en sont dépourvues. Beaucoup de squelettes d'enfants sont placés sur un petit lit de pierres. Toutes sont parfaitement orientés et révèlent des inhumations régulières. Nul mobilier funéraire sinon quelques épingles en bronze ou en cuivre argenté, indices d'un linceul, notamment auprès des crânes d'enfants. A l'intérieur de l'église, d'autres sépultures ont été trouvées ; mais à une exception près, il s'agit uniquement d'adultes.

2) La maîtrise de l'eau

        Comme l'a écrit fort pertinemment l'un des meilleurs spécialiste de l'histoire cistercienne, "la recherche de la solitude allait de pair avec celle de l'eau". C'était même l'élément déterminant dans le choix définitif d'un emplacement et du tracé des bâtiments d'une abbaye. Aussi l'immense majorité des fondations cisterciennes sont-elles implantés sur un cours d'eau ou dans une vallée. Et pourtant Vauclair semble, à première vue, faire exception. Alors qu'une petite rivière, l'Ailette (autrefois la Lettre) coule à 500 m au nord de l'enclos monastique, les premiers bâtisseurs ont choisi un site dépourvu d'eau et coupé de la rivière par une légère éminence qui ne permet même pas d'en détourner un bras. Ce choix tellement irrationnel obligea les cisterciens à aménager plusieurs sources situées à flanc de coteau, sur le versant nord du plateau de Craonne, et à canaliser sur plus de 800 m cette eau vers l'angle sud-est de l'enceinte monastique. Pourquoi ne se sont-ils pas établis à deux ou trois cents mètres au nord de l'emplacement actuel afin de bénéficier de la présence de la rivière ? Sur tout ce problème de la maîtrise de l'eau, une étude détaillée sera publiée ultérieurement à partir de multiple données recueillies par quinze ans de fouilles. A partir d'un plan d'ensemble, il suffit, dans cette synthèse, d'en exposer les aspects principaux.
        L'eau nécessaire à l'abbaye pénétrait dans l'enceinte en deux points différents : une entrée à l'extrémité est du mur méridional pour l'eau de sources du coteau surplombant le monastère, l'autre à l'extrémité sud du mur oriental pour celle d'une source située dans la vallée même, à l'est des lieux réguliers. Dans l'angle sud-est de leur enclos, les moines créèrent un étang-réservoir retenu par une puissante digue en pierres taillées. Avec un à-propos fonctionnel bien cistercien, une chute d'eau fut aménagée dans la digue, en aval de l'étang, pour servir de force motrice à une roue de moulin.
        Du bas de cette chute partait l'aqueduc principal conduisant l'eau vers le monastère. Après une vingtaine de mètres à ciel ouvert permettant de placer la roue du moulin, ce canal devient souterrain. Il longe ensuite l'extrémité méridionale des bâtiments monastiques et du cloître, suivant une disposition tout à fait classique chez les cisterciens. Cet axe majeur tracé au XIIIe siècle a été mis au jour ou repéré en divers endroits jusqu'à sa sortie, en direction de l'ouest, près de la porterie. A partir de là, il coulait à ciel ouvert et se déversait à quelques centaines de mètres dans le cours de l'Ailette qu'il rejoignait.
        Au XVIIe siècle, cet aqueduc a été complètement reconstruit, en empruntant parfois un tracé légèrement différent. A la sortie des lieux réguliers, le long du pignon sud du bâtiment des convers et jusqu'à la poterie, il se doublait d'un canal parallèle plus étroit et plus bas de 30 cm. Il est plausible de croire que l'aqueduc majeur servait à l'apport d'eau fraîche et que l'autre évacuait les eaux usées. A la hauteur de l'hôtellerie, le canal principal mesure environ 90 cm de large et ses parois avoisinent une épaisseur de 80 cm ; des dalles de 20 cm en assurent la base. L'autre canal a une largeur de 55 cm et ses parois sont identiques à celles du précédent. Cet aqueduc irrigue un réseau extrêmement dense de caniveaux et petites canalisations, plus diversifié que celui de nos agglomérations urbaines actuelles.
        Les fouilles ont en outre mis au jour une dizaine de puits et plusieurs citernes. Les puits présentent tous les mêmes caractéristiques : de forme généralement circulaire, ils ont 70 à 80 cm seulement de diamètre et ne dépassent guère 3,50 à 4 m de profondeur car dans une vallée aussi marécageuse que celle de l'Ailette, la nappe phréatique affleure rapidement. Pour recueillir l'eau des toitures, de nombreuses citernes avaient été implantées un peu partout auprès des bâtiments. Elles ont des formes et des dimensions très diverses en fonction de leur emplacement et de leur destination.

3) Les ateliers monastiques

        La recherche historique médiévale rappelle de plus en plus la présence et le rôle des activités artisanales dans l'enceinte des abbayes cisterciennes. Mais cette idée n'a pratiquement jamais été vérifiée sur le terrain par voie archéologique. Sana doute la difficulté de l'entreprise explique-t-elle cette lacune. Implantées à une certaine distance des lieux réguliers, assez éparpillées dans l'enclos monastique, les constructions abritant ces activités ont souvent disparu et leur mise au jour se révèle difficile. De telles fouilles semblent pourtant fondamentales si on faire progresser la connaissance concrète d'un domaine capital et peu connu de l'univers du Moyen-Age. Quelques belles images d'exemples rarissimes - la forge de Fontenay ou la brasserie de Villers par exemple - ne fondent pas une connaissance solide. Qu'en est-il pour les centaines d'autres monastères cisterciens ?
        A Vauclair même, pour avoir une vue d'ensemble sur les activités économiques de l'abbaye, il faudrait mentionner l'exploitation agricole située à la trop célèbre ferme d'Hurtebise et, à quelques centaines de mètres plus au sud, le hameau jadis appelé Luy et que les moines nommèrent La Vallée-Foulon en raison des deux moulins à fouler le drap qu'ils y créèrent. Situés hors de l'enceinte même de l'abbaye, ni l'une ni l'autre n'entrent dans la présente étude. Dans l'état actuel des recherches, cinq types d'installations artisanales ont été découvertes dans l'enclos de Vauclair : un moulin, un four chaux, trois fours tuiliers, deux pressoirs et des bacs de tannerie.
        Le moulin se trouve dans l'angle sud-est de l'enceinte. Les recherches en cours depuis 1979 ne sont pas achevées, mais elles permettent de savoir déjà qu'il y en eut en fait deux : l'un, au nord du bief sortant de l'étang, à dater du XIIIe siècle et qui fut probablement détruit lors des raids de la guerre de Cent ans ; l'autre au sud, construit au XVIIe siècle. Il s'agit de deux bâtiments bien distincts. Le premier mesurait 12 m de long sur 7 m de large. Divisé en deux par un mur de refend, une partie servait de salle des machines et l'autre contenait un double foyer assez complexe dont l'usage reste encore inconnu ; peut-être un moulin à huile nécessitant une source de chaleur ? Un petit bâtiment (5 x 8 m) lui était adjoint au sud.
        A quelques mètres à peine du pignon du croisillon nord de l'abbatiale du XIIIe siècle, les recherches ont permis de découvrir les restes d'une installation de 14 x 5,50 m de production de chaux, c'est-à-dire un four et sa fosse de refroidissement. Le four a environ 8 m de long sur 5,50 de large. Orienté est-ouest, il n'est ni carré ni sphérique mais revêt la forme d'une poire dont l'axe longitudinal mesure 6,50 m et la plus grande largeur 4,30 m. Un épais mur mitoyen le séparait à l'ouest d'une fosse sphérique aux parois rubéfiées d'environ 4,20 m de diamètre et servant assurément pour le refroidissement de la chaux vive produite par le four. Cet ensemble, qui fera l'objet d'une publication spéciale, remonte à la première moitié du XIIIe siècle. Il s'agit certainement du four destiné à alimenter la grande campagne de construction du second monastère. Une fois de plus, l'emplacement paraît logique et fonctionnel : assez proche du chantier en tenant compte du tracé de l'abbatiale et permettant aux vents de chasser les fumées hors des lieux réguliers.
        Le secteur nord-est de l'enclos monastique a livré trois fours tuiliers non groupés. Les résultats des fouilles de l'un d'eux, remarquablement conservé, ont déjà été publiés. Il sera aménagé pour être visité. Les deux autres, découverts en 1979 et 1980, sont du même type mais moins bien conservés. Il s'agit de fours à double tunnel de chauffe et produisant des tuiles plates et rondes, des carreaux de pavement et même de petites briques. Leurs emplacements tiennent compte, là aussi, des vents dominants et des bancs d'argile qui s'y trouve.
        Le long de la façade occidentale du bâtiment des convers, exactement à côté du cellier, les fouilles de 1974 ont mis au jour les bases remarquablement conservées de deux pressoirs, l'un à quatre et l'autre à deux bras verticaux. Un mur d'enceinte intérieur aux fondation larges de 1,25 m et prenant appui sur la façade ouest de l'aile des convers les isolais du quartier des hôtes tout en créant avec le cellier voisin, une véritable unité spécialisée de production. Les bases des pressoirs étaient disposées dans une cavité de trois mètre de profondeur, aux parois soigneusement empierrées. Un superbe travail artisanal assurait les bases de celui à quatre bras : chacun mesurant environ 50 cm de côté était enserré dans une série de poutre de chêne de 30 à 40 cm de large s'entrecroisant sur trois niveaux superposés ; et tous les espaces laissés libres entre les poutres étaient systématiquement occupés par des moellons de pierre disposés par les constructeurs pour ne laisser aucun jeu à l'ensemble. Ces bases de pressoir mesuraient 3,90 m sur 2,60 m.
        De quand dater ces installations ? Le petit mur d'enceinte qui entoure le tout est certainement du XIIIe siècle car il possède l'appareil typique de cette époque. Mais les remblais de la cavité révèlent une datation plus tardive. Une base de colonne réemployée est manifestement de la fin du XIIIe ; et plusieurs tessons découverts à la base même des poutrelles de chêne proviennent de poteries du XVIe siècle. Il semble donc propable que, dans cet espace aménagé au XIIIe, les bases des pressoirs retrouvés remontent au XVIe même au XVII siècle ; mais sans doute y avaient-ils remplacé d'autres installations plus anciennes. Signalons aussi qu'au mur nord était adossée une cheminée.
        A une centaine de mètres de la façade orientable de l'aile des moines, le long de l'aqueduc principal, les fouilles ont révélé trois petites cavités empierrées (4 x 2,50, 1,50 x 1,50 et 4,50 x ? m) groupées et orientées de la même manière. Toutes les trois ont été mises hors d'usage par la réfection des canaux au XVIIe siècle. Le seul élément qui puisse fournir un éclaircissement sur cet ensemble est une couche assez compacte de cornes de bovidés découverte auprès et dans les cavités. D'où l'hypothèse plausible de bacs de tannerie.
        Il convient également d'évoquer le problème des carrières. Les multiples constructions de Vauclair ont nécessité un volume absolument considérable de pierres. L'abbaye possédait ses propres centres d'approvisionnement. Le plus important, assez proche du monastère et de la ferme d'Hurtebise, est devenu célèbre au cours de la Grande Guerre sous le nom de Caverne du Dragon ; les belligérants y concentrèrent des troupes qui s'entre-tuèrent en sanglants corps à corps dans les espaces évidés au cours des siècles par les cisterciens. Les moines eurent une autre carrière à Chermizy, sur le versant nord de la vallée de l'Ailette, à la suite d'une donation consentie en 1195 par Guy, seigneur du lieu.
        Evocation nécessaire aussi que celle du mobilier découvert au cours de ces quinze années de fouilles dans l'enceinte de Vauclair. Les trouvailles ont été nombreuses et de qualité : poterie de toutes sortes et de toutes époques, objets très variés en verre, en métal, pierres taillées, carreaux, monnaies... . Il faut indiquer que les poteries trouvées permettent de suivre toute l'évolution des formes céramiques du XIIe jusqu'à la fin du XVIIIe siècle ; que la collection de carreaux émaillés avec décor incrusté est l'une des plus remarquable du nord de la France ; et que les chercheurs ont mis au jour l'un des plus importants trésors monétaires des XVIe et XVIIe siècles.
        Il y a aussi l'ensemble du problème des multiples sépultures de Vauclair. Une publication complète sera ultérieurement consacrée à cette question, notamment aux tombes du milieu du Moyen-Age, moins bien connues que celles des époques gallo-romaine et mérovingienne.
        Un bilan provisoire de ces années de recherche à Vauclair concerne autant l'histoire du site lui-même que l'étude de son habitat monastique.
        Il ne fait aucun doute que le site de Vauclair a été occupé avant l'arrivée des cisterciens. Les vestiges découverts de la Tène III et de l'époque gallo-romaine le prouve clairement. Indiscutable également est l'abandon des lieux entre les IIIe et XIIe siècle : du moins de l'emplacement précis où se construisirent les bâtiments monastiques. Mais en fut-il de même pour les abords immédiats ?
        A cette question capitale, on peut d'autant mieux répondre par la négative que l'implantation cistercienne semble avoir été manifestement choisie pour éviter le contact avec un autre habitat antérieur et très rapproché. Ni l'altare mentionné par la charte de fondation, ni par là le village de Curtmenblein n'ont été actuellement découverts ; pas plus que l'habitat et les sépultures de l'occupation gallo-romaine dont toute la zone des industries à feu a été mise au jour. Et pourquoi ces deux implantations ne se seraient-elles pas superposées au même endroit en raison des données géographique ? A 500 m au nord de l'enclos monastique coule en effet l'Ailette, petite rivière que les premiers cisterciens ont délaissée de manière tout à fait surprenante pour s'établir à quelques centaines de mètres plus au sud. Il semble à peu près certain que les occupants gallo-romains comme plus tard les hommes de Curtmenblein ont dû choisir, eux, l'emplacement idéalement rapproché de l'eau ; et que c'est précisément cet habitat en place lors de l'arrivée des moines qui va les obliger à s'éloigner pour préserver leur nécessaire solitude tout en continuant d'assurer le service de la paroisse Saint-Martin dont ils garderont la charge jusqu'à la Révolution. Sans compter avec le rôle des vents dominants du sud-ouest et qui protégeaient les occupants de cet habitant des fumées des installations à feu dispersées à l'emplacement des constructions monastiques. Mais cet habitat fut-il lui aussi abandonné temporairement aux époques mérovingienne et carolingienne ? Et en ce cas, de quand date la reprise prouvée par l'existence de l'église de Curtmenblein
        Ces réponse ne peuvent trouver de réponses définitives que par la découverte et la fouille méthodique de l'emplacement précis de cet habitat. C'est là le complément obligé des quinze années révolues de travaux sur le site de Vauclair.
        Quand à l'abbaye elle-même, les recherches ont restitué ses plans successifs et par là son évolution, bien significative de celle de l'ordre cistercien : un premier monastère du XIIe siècle, au plan rigoureux comme toutes les constructions claravalliennes ; puis spirituelle, économique et sociale poussa à l'édification d'un second monastère, beaucoup plus vaste, dès le début du XIIIe siècle ; mais on a vu grand, trop grand, l'esprit change et la construction s'essouffle avant même que les crises du XIVe siècle n'apportent leur cortège de calamités et de réparations trop tardives. Le calme revenu, la vie reprend avec plus de vigueur que dans les autres maisons : absence de commende, stricte observance et rénovation des bâtiments dès le milieu du XVIIe siècle ; apparemment, jusqu'à la Révolution.
        Vauclair ? Une abbaye sans histoire ! Un de nos amis cisterciens fit un jour cette boutade. C'est-à-dire une abbaye toujours fidèle à la finalité profonde de sa vie contemplative. Sur ce plan et à sa manière, l'investigation archéologique rejoint en quelque sorte une visite canonique. Toutes les recherches à Vauclair révèlent un monastère et une communauté fidèles aux us cistercien. Ainsi, hormis le chauffoir dans le bâtiment des convers du XIIe siècle, ne trouve-t-on aucune trace de chauffage dans aucun bâtiment des lieux réguliers. Ainsi, toutes les sépultures, même celles des abbés, sont-elles rigoureusement conformes aux usages de Cîteaux avec corps inhumé sans cercueil ni mobilier. Ainsi encore, tout le réseau de murs destinés à isoler du siècle les lieux réguliers... .

René COURTOIS r


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